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Il y avait une
tarte aux fraises dans le réfrigérateur, recouverte d’une feuille de plastique.
Après l’avoir longtemps contemplée avec des yeux complètement vides, Frannie la
sortit, la posa sur la table et s’en coupa une part. Une fraise tomba avec un
petit floc ! sur la table quand elle voulut faire glisser le
morceau de tarte dans une assiette à dessert. Elle ramassa la fraise et la
mangea. Puis elle essuya la petite tache de jus avec un chiffon. Elle remit la
feuille de plastique sur la tarte et la rangea dans le réfrigérateur.
En se retournant, elle aperçut le
râtelier à couteaux, à côté des placards. C’était son père qui l’avait fabriqué.
Deux barres aimantées retenaient les couteaux. Le soleil jouait sur les lames. Elle
resta longtemps à regarder les couteaux avec un regard absent et vaguement
surpris en tripotant machinalement le tablier noué à sa taille.
Finalement, au bout d’un bon
quart d’heure, elle se souvint qu’elle était en train de faire quelque chose. Mais
quoi ? Une citation de l’Évangile, une paraphrase en fait, lui traversa la
tête sans aucune raison particulière : Avant de vouloir enlever la
paille dans l’œil de ton voisin, occupe-toi de la poutre dans le tien. Elle
réfléchissait. Paille ? Poutre ? Cette image l’avait toujours
dérangée. Une très grosse poutre ? Une poutre de charpente ?
… Avant de vouloir enlever la
paille dans l’œil de ton voisin…
Il ne s’agissait pas d’un œil, mais
d’une tarte. Une mouche trottinait sur les fraises. Elle la chassa du revers de
la main. Au revoir, madame la mouche, dites adieu à la tarte de Frannie.
Elle resta longtemps à regarder
le morceau de tarte. Son père et sa mère étaient tous les deux morts, elle le
savait. Sa mère était morte à l’hôpital de Sanford et son père, lui qui l’avait
fait se sentir si heureuse dans son atelier quand elle était petite, son père
était mort dans son lit, juste au-dessus de sa tête. Sa tête où trottaient des
phrases sans suite, des phrases idiotes, comme quand on a la fièvre. Madame
la mouche, il faut que je me couche…
Elle revint à elle tout à coup. Il
y avait une odeur de fumée dans la cuisine. Quelque chose brûlait.
Frannie tourna la tête et vit la
poêle où elle avait mis des pommes de terre à frire. Elle l’avait oubliée. Une
épaisse fumée montait de la poêle. L’huile grésillait, éclaboussant le rond, de
petites flammèches s’allumaient puis s’éteignaient, comme si une main invisible
jouait avec un briquet. La poêle était complètement noire.
Elle toucha le manche et retira
aussitôt la main en poussant un petit cri. Il était brûlant. Elle s’empara d’un
torchon, l’enroula autour du manche et prit la poêle qui crachait comme un dragon.
Elle ouvrit la porte de derrière et posa la poêle sur la première marche de l’escalier
qui conduisait au jardin. Des abeilles bourdonnaient dans l’air qui embaumait
le chèvrefeuille, mais elle s’en rendit à peine compte. Un instant, le voile
épais qui étouffait toutes ses réactions émotives depuis quatre jours se
déchira, et elle eut très peur. Peur ? Non – une terreur sourde, à la
limite de la panique.
Elle se souvenait d’avoir pelé
les pommes de terre, de les avoir mises dans l’huile. Elle s’en souvenait
maintenant. Mais elle avait… ouf ! Elle les avait complètement oubliées.
Debout en haut de l’escalier, son
torchon à la main, elle essayait de se souvenir exactement de ce à quoi elle
pensait lorsqu’elle avait mis les pommes de terre dans l’huile. Quelque chose
de très important.
Bon. D’abord elle avait pensé qu’un
repas composé uniquement de pommes de terre frites n’allait pas être très
nourrissant. Puis elle avait pensé que si le McDonald’s avait été ouvert, elle
n’aurait pas eu à se faire à manger. Un petit tour en voiture, un énorme hamburger,
un grand cornet de frites. Petites taches d’huile à l’intérieur du carton rouge
vif. Pas très sain, sans doute, mais tellement rassurant. Et puis… les femmes
enceintes ont des envies bizarres.
Ce qui lui fit retrouver le fil
de ses pensées. Les envies bizarres des femmes enceintes lui rappelèrent la
tarte aux fraises qui attendait dans le réfrigérateur. Tout à coup elle avait
eu une envie folle de tarte aux fraises. Elle s’était servi une part, mais en
se retournant elle avait aperçu le râtelier à couteaux que son père avait fait
pour sa mère (Mme Edmonton, la femme du médecin, le trouvait
tellement pratique que Peter lui en avait fait un, il y avait deux ans pour
Noël), et… tout s’était brouillé dans sa tête. Pailles… poutres… mouches…
– Mon Dieu, dit-elle devant
le jardin désert que son père n’allait plus jamais désherber.
Elle s’assit, se cacha le visage
dans son tablier et se mit à pleurer.
Quand ses sanglots s’apaisèrent, elle
crut se sentir un peu mieux… mais elle avait encore peur. Est-ce que je deviens
folle ? Est-ce que je suis en train de faire une dépression nerveuse ?
Depuis que son père était mort, à
huit heures et demie la veille au soir, elle avait du mal à rassembler ses
idées. Elle oubliait ce qu’elle était en train de faire, elle rêvassait, ou
elle restait simplement assise sans penser à rien du tout, pas plus consciente
du monde qui l’entourait qu’un chou-fleur.
Quand son père était mort, elle
était restée assise très longtemps à côté de son lit. Ensuite, elle était
descendue pour allumer la télévision. Sans raison particulière, comme ça. Une
seule station émettait WCSH, la station de la NBC à Portland. Une espèce de
procès, complètement dingue. Un Noir, une sorte de coupeur de tête à faire
crever de peur les types du Ku Klux Klan, faisait semblant d’exécuter des
Blancs avec un pistolet et le public applaudissait. Il faisait semblant, naturellement
– on ne montre pas des choses comme ça à la télévision quand c’est pour de vrai
– pourtant, elle n’en était pas si sûre.
Plus tard (elle ne se souvenait
plus exactement quand), d’autres types étaient entrés dans le studio et le
combat avait paru encore plus réaliste que les exécutions. Des hommes, pratiquement
décapités par des balles de gros calibre, tombaient à la renverse. Le sang
giclait de leurs cous déchiquetés en horribles geysers. Elle se souvenait d’avoir
alors confusément pensé qu’ils auraient dû faire passer un message de temps en
temps sur l’écran. Un de ces messages qui disent aux parents d’envoyer les enfants
au lit ou de changer de chaîne. Elle se souvenait aussi de s’être dit que WCSH
risquait bien de perdre son permis ; l’émission était quand même trop
dégoûtante.
Elle avait fermé la télévision
lorsque la caméra avait basculé vers le haut et qu’on n’avait plus vu que les
projecteurs suspendus au plafond du studio. Elle s’était allongée sur le canapé
et était restée là à regarder elle aussi son plafond. Et elle s’était endormie.
En se réveillant, ce matin, elle était à peu près sûre qu’elle avait rêvé, qu’elle
n’avait jamais vu cette émission. C’était là le problème, en fait. Tout
semblait flotter dans un rêve, ou plutôt comme dans un cauchemar. D’abord la
mort de sa mère, ensuite celle de son père qui n’avait fait qu’empirer les
choses. Comme dans Alice au pays des merveilles, tout devenait de plus
en plus curieux.
Son père, déjà malade, avait
voulu assister à une réunion à la mairie. Frannie flottait déjà, mais
physiquement elle se sentait très bien. Elle l’avait accompagné.
La salle était pleine de gens qui
éternuaient, toussaient, se mouchaient. La peur leur mettait les nerfs à vif. Ils
parlaient très fort, avec des voix rauques. Ils se levaient sans cesse, demandaient
la parole, pontifiaient devant leurs voisins. Beaucoup avaient pleuré – et pas
seulement les femmes.
En fin de compte, on avait décidé
de fermer la ville. Personne ne pourrait plus y entrer. Si certains voulaient
partir, pas de problème, mais ils devaient bien comprendre qu’ils ne pourraient
plus revenir. Toutes les sorties – et surtout la nationale 1 – seraient barrées
avec des voitures (après une discussion orageuse qui dura près d’une demi-heure,
on décida finalement d’utiliser les camions de la municipalité). Les barrages
seraient gardés par des volontaires armés. Les étrangers qui voudraient prendre
la nationale 1 en direction du nord ou du sud seraient détournés vers Wells au
nord ou York au sud où ils pourraient prendre l’autoroute 95 et contourner Ogunquit.
Tous ceux qui essaieraient de passer quand même seraient abattus. Tués ? avait
demandé quelqu’un. Évidemment.
Un petit groupe d’une vingtaine
de personnes voulait que les malades soient immédiatement expulsés. La
proposition fut rejetée, car dans la soirée du vingt-quatre, quand la réunion
avait eu lieu, pratiquement tous ceux qui n’étaient pas malades avaient des
parents ou des amis qui l’étaient. Beaucoup croyaient ce qu’on disait à la
radio, qu’un vaccin serait bientôt prêt. Comment pourraient-ils ensuite se
regarder dans les yeux, disaient-ils, si l’on apprenait plus tard qu’il s’agissait
d’une fausse alerte ? On ne met quand même pas les gens dehors comme des
chiens galeux.
On proposa alors d’expulser
seulement les vacanciers malades.
Les vacanciers, très nombreux, firent
remarquer qu’ils faisaient amplement leur part depuis des années en payant les
taxes municipales de leurs villas, qu’ils payaient eux aussi pour les écoles, les
routes, les pauvres, les plages publiques. C’est grâce à eux que les commerces,
vides du 15 septembre au 15 juin, pouvaient vivre. Si on les traitait aussi
cavalièrement, eh bien les habitants d’Ogunquit pouvaient être sûrs qu’ils ne
reviendraient jamais plus. Qu’ils se remettent à pêcher le homard et à chercher
des palourdes dans la vase pour gagner leur vie. La proposition fut rejetée par
une confortable majorité.
À minuit, les barrages étaient en
place. À l’aube, le matin du 25, on avait déjà tiré sur plusieurs étrangers. La
plupart n’étaient que blessés, mais il y avait cependant trois ou quatre morts.
Presque tous arrivaient du nord, de Boston, complètement paniqués, stupides. Certains
avaient bien voulu revenir à York pour prendre l’autoroute, mais d’autres, trop
fous pour comprendre, avaient essayé de défoncer les barrages ou de les
contourner en passant sur l’accotement. On s’était occupé d’eux.
Le soir venu, la plupart des
hommes postés aux barrages étaient malades, rouges de fièvre. Leurs fusils
coincés entre leurs pieds, ils ne cessaient pas de se moucher. Certains, comme
Freddy Delancey et Curtis Beauchamp, avaient perdu connaissance. On les avait
transportés plus tard à l’infirmerie qu’on avait installée à la mairie. Ils y
étaient morts.
Hier matin, le père de Frannie
qui s’était opposé à toute cette histoire des barrages était resté au lit. Frannie
s’était occupée de lui. Il ne voulait pas qu’elle l’emmène à l’infirmerie. S’il
devait mourir, avait-il dit à Frannie, au moins qu’il meure chez lui, dans la
dignité, en privé.
Dans l’après-midi, la circulation
avait pratiquement cessé. Gus Dinsmore, le gardien du stationnement de la plage
publique, pensait avoir l’explication : de nombreux conducteurs étaient
sans doute morts sur la route et leurs véhicules devaient empêcher de passer
ceux qui pouvaient encore conduire. Tant mieux, car dans l’après-midi du 25 on
aurait eu du mal à trouver trois douzaines d’hommes capables de monter la garde
aux barrages. Gus, qui s’était senti parfaitement bien jusqu’à hier, avait fini
par tomber malade. En fait, la seule personne en ville, à part elle, qui
semblait aller bien était le frère d’Amy Lauder, Harold, un gros garçon de
seize ans. Amy était morte juste avant la première réunion à la mairie. Sa robe
de mariée pendait encore dans son placard, toute neuve.
Fran n’était pas sortie aujourd’hui.
Elle n’avait vu personne depuis que Gus était venu faire un tour hier
après-midi. Ce matin, elle avait entendu quelques bruits de moteur et les deux
détonations en succession rapide d’un fusil de chasse, mais rien d’autre. Et ce
pesant silence la faisait se sentir encore plus irréelle.
Il fallait réfléchir. Les mouches…
les yeux… les tartes. Frannie se rendit compte qu’elle écoutait le
réfrigérateur. Il était équipé d’une machine à glaçons et, toutes les vingt
secondes à peu près, on entendait un petit cloc ! quand un nouveau
glaçon tombait dans le bac.
Elle resta assise pendant près d’une
heure, son assiette toujours devant elle, les yeux vides, les sourcils
légèrement levés. Peu à peu, une autre idée commença à émerger – en fait, deux
idées qui semblaient à la fois liées entre elles et totalement étrangères. Peut-être
deux éléments d’un tout plus vaste ? Attentive au bruit que faisaient les
glaçons en tombant dans le bac du réfrigérateur, Frannie réflé-chissait. La
première idée, c’était que son père était mort ; il était mort chez lui, et
sans doute préférait-il qu’il en ait été ainsi.
La seconde idée avait quelque
chose à voir avec la journée. Une très belle journée d’été, un temps vraiment
splendide, le genre de journée qui attire les hordes de touristes sur la côte
du Maine. On ne vient pas ici pour se baigner, car l’eau reste toujours plutôt
froide, on vient se faire bronzer.
Le soleil brillait et Frannie
pouvait voir le thermomètre derrière la fenêtre de la cuisine. Pas loin de
vingt-sept degrés. Une journée magnifique – et son père était mort. Y avait-il
un rapport, à part évidemment cette envie de pleurer ?
Elle se concentrait, les yeux
toujours dans le vague, faisait le tour du problème, puis pensait à autre chose,
recommençait à flotter. Mais l’idée revenait toujours.
C’était une belle journée, il
faisait chaud, et son père était mort.
Cette fois, elle comprit d’un
seul coup et ses yeux se fermèrent, comme si elle avait reçu une gifle.
Au même moment, ses mains
tirèrent convulsivement sur la nappe et l’assiette à dessert tomba par terre. Elle
explosa comme une bombe. Frannie se mit à hurler en se labourant les joues avec
ses ongles. Le vide hagard avait disparu de ses yeux, tout à coup parfaitement
éveillés. Comme si on l’avait frappée, comme si on lui avait mis un flacon d’ammoniaque
sous le nez.
On ne peut pas garder un cadavre
chez soi. Pas en plein été.
Lentement, elle recommença à s’éteindre,
à laisser ses idées s’effilocher. Peu à peu, l’horreur de la situation s’estompa,
s’assourdit. Elle écoutait tomber les glaçons dans le bac.
Frannie fit un effort pour se
ressaisir. Elle se leva, s’avança vers l’évier, ouvrit à fond le robinet d’eau
froide, prit de l’eau dans le creux de sa main et s’aspergea les joues. Elle
transpirait un peu et la fraîcheur de l’eau sur sa peau la fit sursauter.
Elle pourrait rêver tant qu’elle
voudrait tout à l’heure, mais il fallait d’abord s’occuper de ça. Il le
fallait. Elle ne pouvait pas le laisser dans son lit en plein mois de juin, bientôt
juillet. Elle… elle…
– Non ! cria-t-elle aux
murs de la cuisine inondée de soleil.
Et elle se mit à faire les cent
pas. Elle pensa d’abord aux pompes funèbres. Mais qui allait…
– Arrête de tourner autour
du pot ! hurla-t-elle dans la cuisine déserte. Qui va l’enterrer ?
Et la réponse lui vint avec le
son de sa voix. Tout était parfaitement clair. Elle, bien sûr. Qui d’autre ?
Elle.
Il était deux
heures et demie quand elle entendit une voiture s’arrêter devant le garage. Frannie
posa sa pelle au bord du trou qu’elle creusait dans le jardin, entre les
tomates et les salades, et se retourna, un peu effrayée.
C’était une grosse Cadillac
flambant neuve, vert bouteille. Et qui en descendait ? Harold Lauder, le
gros Harold. Aussitôt, Frannie eut la nausée. Elle n’aimait pas Harold. Personne
ne l’aimait, même pas sa sœur, Amy. Sa mère faisait peut-être exception. Et il
fallait que le seul autre survivant à Ogunquit soit l’une des très rares
personnes qu’elle n’aimait pas du tout dans cette petite ville…
Harold était rédacteur en chef de
la revue littéraire du lycée d’Ogunquit. Il écrivait d’étranges nouvelles, toujours
au présent et à la deuxième personne du pluriel. Vous descendez le délirant
corridor et vous poussez d’un coup d’épaule la porte fracturée et vous regardez
les athlètes – c’était son style.
– Il se branle dans son froc,
lui avait un jour confié Amy. Tu te rends compte ? Il se branle dans son
froc et il attend que son slip tienne debout tout seul avant d’en changer.
Harold avait des cheveux noirs et
gras. Il était grand, à peu près un mètre quatre-vingt-cinq, mais il traînait
près de cent dix kilos de graisse avec lui. Il aimait les bottes de cow-boy à
bouts pointus, les grosses ceintures de cuir qu’il devait constamment remonter
car son ventre était infiniment plus volumineux que ses fesses, les chemises à
fleurs que sa bedaine faisait gonfler comme un spinnaker. Frannie s’en foutait
qu’il se branle, qu’il traîne sa graisse ou qu’il imite cette semaine Wright Morris
ou Hubert Selby. Mais quand elle le voyait, elle se sentait toujours mal à l’aise,
un peu dégoûtée, comme si elle devinait que Harold pensait presque toujours à
des choses sales, gluantes. Elle ne croyait pas qu’il puisse être dangereux
même dans une situation comme celle-ci, mais il allait sans doute être aussi
désagréable que d’habitude, peut-être plus.
Il ne l’avait pas vue. Il
regardait les fenêtres.
– Il y a quelqu’un ? cria-t-il.
Puis il passa le bras par la
fenêtre de la Cadillac et klaxonna. Frannie grinça des dents. Elle aurait voulu
ne pas répondre, mais quand Harold ferait demi-tour pour remonter dans sa
voiture, il verrait sûrement le trou, et elle assise au bord. Un instant, elle
eut envie de ramper au fond du jardin, de se coucher entre les petits pois et
les haricots, d’attendre là qu’il se fatigue et qu’il s’en aille.
Arrête, se dit-elle, arrête ça. C’est
quand même un être humain. Et il est vivant.
– Je suis là, Harold !
Harold sursauta et ses grosses fesses
tremblotèrent dans son pantalon trop serré. De toute évidence il ne s’attendait
pas à trouver quelqu’un. Il se retourna et Fran s’avança vers lui, les jambes
couvertes de terre, résignée à ce qu’il la déshabille du regard sous son short
blanc et son petit débardeur. Elle sentit les yeux de Harold glisser sur sa
peau comme une limace.
– Salut, Fran.
– Salut, Harold.
– J’ai entendu dire que tu
résistais plutôt bien à cette terrible maladie. C’est pour cette raison que j’ai
décidé de m’arrêter d’abord chez toi. Je fais le tour de la ville.
Il lui fit un sourire, découvrant
des dents qui manifestement ne fréquentaient que de loin en loin le dentifrice.
– Je suis désolée pour Amy, Harold.
Ta mère et ton père… ?
– Eux aussi.
Harold baissa la tête un moment, puis
la releva en faisant voler ses cheveux graisseux.
– Mais la vie continue, n’est-ce
pas ? reprit-il.
– Sans doute.
Les yeux de Harry dansaient sur
ses seins maintenant. Elle aurait voulu pouvoir enfiler un pull-over.
– Tu aimes ma voiture ?
– C’est celle de Roy
Brannigan ?
Roy Brannigan était agent
immobilier.
– C’était, répondit
nonchalamment Harold. J’ai toujours cru que, si l’essence était un jour rationnée,
il faudrait pendre à la première pompe à essence les types qui conduisent ces
monstres thyroïdiens. Mais les temps ont changé. Moins de gens, plus de pétrole.
– Pétrole, pensa Fran,
sidérée. Il pense au pétrole.
– Un peu plus de tout, conclut
Harold.
Un éclair traversa ses yeux
lorsqu’ils tombèrent sur le nombril de Frannie, rebondirent vers son visage, retombèrent
vers son short, rebondirent encore vers son visage. Il souriait, d’un air à la
fois enjoué et mal à l’aise.
– Harold, tu vas m’excuser, mais
je dois…
– Mais qu’es-tu donc en
train de faire, mon enfant ?
Elle se sentait repartir tout
doucement à la dérive dans l’irréel et elle se demanda combien de temps un
cerveau humain peut résister à ce traitement avant de casser comme un élastique
que l’on a trop tiré. Mes parents sont morts, mais je peux l’accepter. Une
drôle de maladie semble s’être répandue dans le pays tout entier, peut-être
dans le monde entier, et elle frappe partout, les justes comme les méchants. Je
peux l’accepter. Je creuse un trou dans le jardin que mon père désherbait la semaine
dernière et, quand il sera suffisamment profond, je crois bien que je vais le
mettre dedans. Je pense que je peux l’accepter. Mais que Harold Lauder dans la
Cadillac de Roy Brannigan me fasse des papouilles avec ses yeux et m’appelle « mon
enfant »… là, mon Dieu, je ne sais pas. Je ne sais vraiment plus.
– Harold, dit-elle en
maîtrisant sa colère, je ne suis pas ton enfant. J’ai cinq ans de plus que toi.
Il est matériellement impossible que je sois ton enfant.
– Ce n’était qu’une figure
de style, répondit-il, un peu surpris de sa réaction. Quoi qu’il en soit, qu’es-tu
en train de faire ?
– Une tombe. Pour mon père.
– Oh…, fit Harold Lauder
avec une petite voix gênée.
– Je vais aller boire un
verre d’eau avant de terminer. Pour être franche, Harold, je préférerais que tu
t’en ailles. Je ne me sens pas très bien.
– Je comprends, répondit-il,
un peu vexé. Mais Fran… dans le jardin ?
Elle se dirigeait déjà vers la
maison, mais quand elle entendit sa voix, elle se retourna, furieuse.
– Et qu’est-ce que tu
proposes ? Que je le mette dans un cercueil et que je le traîne jusqu’au
cimetière ? Pour quoi faire, tu peux me le dire ? Il adorait son
jardin ! Et qu’est-ce que ça peut te faire, de toute façon ? De quoi
tu te mêles ?
Elle pleurait. Elle tourna les
talons et courut vers la cuisine, manquant de peu le pare-chocs avant de la
Cadillac. Elle devina que Harold avait les yeux braqués sur ses fesses et qu’il
garderait précieusement ces images pour le film porno qui se déroulait
constamment dans sa tête.
La porte claqua derrière elle. Elle
se précipita vers l’évier, but trois verres d’eau glacée, trop vite, et eut
aussitôt l’impression qu’une aiguille d’argent s’enfonçait dans son front. Surpris,
son estomac se noua et elle attendit un instant au-dessus de l’évier de
porcelaine, les yeux mi-clos, pour voir si elle allait vomir. Au bout d’un
moment, son estomac lui dit qu’il voulait bien accepter l’eau glacée, pour le
moment.
– Fran ?
La voix était basse, hésitante. Elle
se retourna et vit Harold sur le pas de la porte, les bras ballants. Il avait l’air
inquiet et malheureux. Tout à coup, Fran eut pitié de lui. Harold Lauder en
train de se promener dans cette ville déserte dans la Cadillac de Roy Brannigan.
Harold Lauder qui n’avait probablement jamais eu de petite amie, qui croyait
pouvoir mépriser le monde entier, les filles, les copains, tout. Et qui se
méprisait lui-même, fort probablement.
– Harold, je suis désolée.
– Non, j’ai parlé trop vite.
Écoute, si tu veux, je peux t’aider.
– Merci, mais je préfère
être seule. C’est…
– Personnel, naturellement. Je
comprends.
Elle aurait pu prendre un
pull-over dans le placard de la cuisine, mais il aurait naturellement compris
pourquoi et elle ne souhaitait pas l’embarrasser davantage. Harold faisait de
son mieux pour jouer les braves types – et il manquait certainement d’entraînement.
Elle sortit et ils restèrent un moment tous les deux à regarder le jardin, le
trou et le petit tas de terre. L’après-midi somnolait autour d’eux, comme si rien
n’avait changé.
– Qu’est-ce que tu vas faire ?
demanda-t-elle à Harold.
– Je ne sais pas. Tu sais…
– Quoi ?
– Difficile à expliquer. Je
ne suis pas très populaire dans ce petit coin de Nouvelle-Angleterre. J’ai bien
l’impression qu’on ne m’aurait jamais élevé une statue sur la place du village,
même si j’étais devenu un grand écrivain, comme je l’espérais autrefois. Soit
dit en passant, j’ai l’impression que j’aurais de la barbe jusqu’à la ceinture
avant qu’il n’y ait un autre grand écrivain.
Elle le regardait sans rien dire.
– Voilà ! s’exclama
Harold en se redressant brusquement, comme si le mot l’avait surpris. Voilà !
Je m’interroge sur cette injustice. Une injustice si monstrueuse, à mon sens, qu’il
m’est plus facile de croire que les butors qui dirigent notre citadelle du
savoir ont finalement réussi à me rendre fou.
Il remonta ses lunettes et elle
remarqua avec sympathie que son acné était vraiment épouvantable. On ne lui
avait donc jamais dit, se demanda-t-elle qu’un peu de savon et d’eau régleraient
partiellement le problème ? Ou étaient-ils tous trop occupés à regarder la
jolie petite Amy faire ses brillantes études à l’université du Maine, terminer
vingt-troisième dans une promotion de plus de mille étudiants ? La jolie
petite Amy, si vive, si brillante, alors que Harold ne savait que mordre.
– Fou, répéta doucement
Harold. Je roule dans une Cadillac qui n’est pas à moi, sans permis. Et regarde
ces bottes, dit-il en relevant les jambes de ses jeans. Quatre-vingt-six
dollars. Je suis simplement entré dans une boutique et j’ai choisi ma pointure.
J’ai l’impression d’être un imposteur. Un acteur. Plusieurs fois aujourd’hui, j’ai
eu la certitude que j’étais fou.
– Mais non…
À l’odeur qu’il dégageait, il ne
s’était sans doute pas lavé depuis trois ou quatre jours. Mais cela ne la
dégoûtait plus.
– Non, nous ne sommes pas
fous, Harold.
– Et c’est peut-être tant
pis pour nous.
– Quelqu’un finira bien par
venir. Plus tard. Quand cette sale maladie aura fini par s’en aller.
– Qui ?
– Les… les autorités, répondit-elle
d’une voix hésitante. Quelqu’un qui… qui remettra de l’ordre.
Harold ricana amèrement.
– Ma chère enfant… excuse-moi.
Ce sont les autorités qui ont fait ce joli travail. Elles savent y faire quand
il s’agit de mettre de l’ordre. Elles viennent de régler d’un seul coup la
récession, la pollution, la crise du pétrole, la guerre froide. Oui elles savent
mettre de l’ordre. Elles ont tout réglé d’un seul coup – comme Alexandre quand
il a tranché le nœud gordien.
– Mais il s’agit simplement
d’une grippe un peu bizarre, Harold. C’est ce qu’on dit à la radio…
– Non, ce n’est pas ainsi
que fonctionne la nature, Fran. Tes autorités, comme tu dis, ont installé un
beau laboratoire quelque part, avec des bactériologistes, des virologistes, des
épidémiologistes, pour voir ce qu’ils pouvaient concocter comme petite bestiole.
Des bactéries. Des virus. Des protoplasmes, ce que tu voudras. Et un jour, un
de ces crapauds trop bien payés a dit : « Regardez ce que j’ai trouvé.
Un truc qui tue pratiquement tout le monde. Ce n’est pas fantastique ? »
On lui a remis une médaille, on lui a accordé une augmentation, on lui a donné
une villa au bord de la mer. Et puis, quelqu’un a renversé la bouteille… Qu’est-ce
que tu vas faire, Fran ?
– Enterrer mon père, répondit-elle
doucement.
– Oh… naturellement.
Il la regarda un instant, puis
dit très vite :
– Écoute, je vais m’en aller.
Je ne reste pas à Ogunquit. Si je reste plus longtemps, je vais devenir
complètement fou. Pourquoi ne pas venir avec moi, Fran ?
– Où ?
– Je ne sais pas… pas encore.
– Alors, reviens m’en parler
quand tu sauras.
Le visage de Harold s’épanouit.
– D’accord. Tu vois, c’est… c’est
une question de…
Il descendait déjà les marches de
l’escalier, comme un somnambule. Ses bottes toutes neuves brillaient au soleil.
Fran le regarda avec une tristesse amusée.
Il lui fit un signe de la main
avant de s’installer derrière le volant de la Cadillac. Fran lui répondit. La
voiture eut un hoquet quand il passa en marche arrière, puis recula en tressautant.
Harold sortit un peu de l’allée, sur la gauche, et écrasa les fleurs de Carla. Puis
il faillit tomber dans le fossé en tournant pour prendre la rue. Deux coups de
klaxon, et il était parti. Fran attendit qu’il disparaisse, puis revint dans le
jardin de son père.
Un peu après
quatre heures, elle remonta à l’étage en traînant les pieds, se forçant à
terminer ce travail qu’elle avait entrepris. Une douleur sourde lui tenaillait
les tempes et le front, causée sans doute par la chaleur, la fatigue et la
tension. Elle avait pensé attendre encore un jour. Mais à quoi bon ? Sous
le bras, elle portait la plus belle nappe damassée de sa mère, celle dont on ne
se servait que lorsqu’il y avait des invités.
Ce ne fut pas aussi facile qu’elle
l’avait espéré mais beaucoup moins terrible qu’elle ne l’avait craint. Des
mouches se posaient sur le visage de son père, frottaient leurs petites pattes
poilues, puis s’envolaient. Sa peau avait pris une couleur sombre et terreuse, mais
on le remarquait à peine… à condition de ne pas vouloir le remarquer : il
travaillait si souvent dans le jardin que sa peau était toujours bronzée. Et
puis, il ne sentait pas. C’était de cela surtout qu’elle avait eu peur.
Il était mort dans le grand lit
qu’il avait partagé pendant des années avec Carla. Elle étala la nappe du côté
où dormait sa mère. L’ourlet touchait le bras, la hanche et la jambe de son
père. Elle avala sa salive (elle avait de plus en plus mal à la tête) et se
prépara à rouler son père dans son linceul.
Peter Goldsmith était vêtu de son
pyjama à rayures, une tenue qui ne convenait guère à l’occasion, pensa-t-elle, mais
il allait falloir s’en contenter. Elle se sentait absolument incapable de le
déshabiller, puis de lui mettre d’autres vêtements. Elle se raidit, saisit son
bras gauche – il était aussi dur et rigide qu’un bout de bois – et poussa pour
faire rouler le corps. Un affreux rot s’échappa alors du cadavre, un rot qui
semblait ne jamais vouloir s’arrêter, qui semblait lui râper la gorge comme si
une sauterelle s’y était faufilée et qu’elle se réveillât maintenant au fond du
tunnel noir, appelant, appelant encore. Frannie poussa un cri, recula et fit
tomber la table de nuit. Les peignes de son père, ses brosses, le réveil, quelques
pièces de monnaie et des boutons de manchettes roulèrent par terre. Il
dégageait maintenant une odeur de gaz, de putréfaction. C’est alors que les
derniers lambeaux du brouillard dont elle s’était entourée se dissipèrent et qu’elle
sut la vérité. Elle tomba à genoux, se cacha la tête dans ses bras et se mit à
sangloter. Ce n’était pas une gigantesque poupée qu’elle enterrait. C’était son
père. Et le dernier vestige de son humanité, le tout dernier, était cette riche
odeur de gaz qui maintenant flottait dans l’air. Et qui bientôt allait disparaître.
Tout devint gris et le son de ses
sanglots mécaniques parut s’éloigner, comme si quelqu’un d’autre pleurait, une
de ces petites femmes au teint basané qu’on voit à la télévision, aux
informations. Le temps passa sans qu’elle s’en rende compte, puis elle refit
surface peu à peu et se souvint qu’elle n’avait pas encore terminé son travail.
Un travail qu’elle n’aurait jamais cru pouvoir faire.
Elle s’approcha de lui et le
retourna. Il lâcha un autre rot, à peine audible cette fois. Elle l’embrassa
sur le front.
– Je t’aime, papa. Je t’aime.
Ses larmes tombèrent sur le
visage de son père. Elle lui enleva son pyjama et lui mit son plus beau costume,
à peine consciente de cette douleur qui courait dans son dos, son cou, ses bras
chaque fois qu’elle le soulevait, qu’elle enfilait une manche, une jambe de
pantalon. Pour nouer sa cravate, elle lui cala la tête avec deux volumes de l’Encyclopédie
universelle. Dans un tiroir de la commode, sous les chaussettes, elle
trouva ses médailles militaires. Elle les épingla sur son costume. Puis elle
alla chercher du talc dans la salle de bains et lui poudra le visage le cou et
les mains. L’odeur de la poudre, douce et nostalgique, lui arracha de nouvelles
larmes. Frannie était trempée de sueur. L’épuisement lui dessinait deux grosses
poches noires sous les yeux.
Elle rabattit sur lui la nappe, alla
chercher la trousse de couture de sa mère et cousit le linceul. Puis elle
replia l’ourlet et fit une deuxième couture. En poussant un han, elle réussit à
déposer le cadavre par terre sans le faire tomber. Puis elle s’arrêta, prise de
vertige. Lorsqu’elle crut pouvoir continuer, elle souleva le corps, le traîna
en haut de l’escalier, puis, aussi doucement qu’elle pouvait, le descendit au
rez-de-chaussée. Elle s’arrêta encore, haletante. Des élancements fulgurants
lui traversaient les tempes comme des milliers d’aiguilles.
Elle tira le corps tout le long
du couloir, traversa la cuisine, descendit marche après marche l’escalier du
jardin. Elle dut ensuite s’arrêter quelques instants pour reprendre son souffle.
Le soleil couchant embrasait le ciel. Elle n’en pouvait plus. Elle s’assit à
côté de son père, la tête sur les genoux, et commença à se balancer en pleurant.
Les oiseaux gazouillaient. Elle se releva finalement et parvint à le traîner jusqu’au
bord de la fosse.
C’était fait, enfin. Quand les
dernières mottes de terre furent en place (elle les avait assemblées à genoux, comme
les pièces d’un puzzle), il était neuf heures et quart. Elle était couverte de
terre. Seul le tour de ses yeux restait blanc, lavé par les larmes. Ses cheveux
collaient sur ses joues. Elle n’en pouvait plus.
– Dors en paix, papa, murmura
t-elle. S’il te plaît.
Elle ramassa la pelle et alla la
jeter dans l’atelier de son père. Elle dut s’arrêter deux fois en montant les
six marches de l’escalier de la cuisine. Puis elle traversa la cuisine dans le
noir, entra dans le salon. Elle s’écrasa sur le canapé, fit tomber ses tennis
et s’endormit immédiatement.
Dans son
rêve, elle montait l’escalier pour aller chercher son père, faire son devoir, lui
donner une sépulture décente. Lorsqu’elle entra dans la chambre, la nappe recouvrait
déjà le corps et son chagrin se changea en autre chose… quelque chose comme de
la peur. Elle traversa la chambre plongée dans le noir, tout à coup décidée à s’enfuir,
incapable de s’en empêcher. La nappe luisait dans l’ombre, et elle comprit :
Ce n’était pas son père, et ce
qui se cachait sous cette nappe n’était pas mort.
Quelque chose – quelqu’un – une
chose hideuse et noire, débordante de vie, se cachait là-dessous, et jamais, au
grand jamais, elle n’allait tirer cette nappe pour savoir, mais elle… elle ne
pouvait pas… elle ne pouvait s’arrêter.
Sa main s’approcha, flotta
au-dessus de la nappe – et elle écarta le tissu.
Il souriait, mais elle ne
pouvait voir son visage. Et de cet affreux sourire sortait un vent glacé, non, elle
ne pouvait voir son visage, mais elle voyait le cadeau que cette terrible
apparition faisait à l’enfant qu’elle portait dans son ventre : un portemanteau
tordu.
Elle fuyait, fuyait cette
chambre, fuyait ce rêve, remontait, refaisait surfface un instant…
Elle refit
surface un instant dans l’obscurité du salon. Il était trois heures du matin. Son
corps flottait encore sur une écume de terreur, mais le rêve se défaisait déjà,
s’effilochait, ne laissant derrière lui qu’une ombre sinistre, un arrière-goût
de rance. Et, dans son demi-sommeil, elle pensa : C’est lui, je l’ai vu,
le Promeneur, l’homme sans visage.
Puis elle se rendormit, mais sans
rêver cette fois. Et, lorsqu’elle se réveilla le lendemain matin, elle ne se
souvenait plus de rien. Mais quand elle pensa au bébé qui dormait dans son
ventre, elle se sentit aussitôt envahie par un sentiment farouche de protection,
un sentiment dont la force et la profondeur la surprirent et lui firent un peu
peur.